Le Soir
«Mon origine sami, c’est une présence, un esprit»
C’est le Brussels Jazz Festival, du 12 au 15 janvier, à Flagey. Avec des stars, comme Henri Texier, Emma-Jean Thackeray, Tania Giannouli, Robin Eubanks. Des Belges, comme Nabou, Anneleen Boehme, Black Flowers, Lynn Cassiers. Et une soirée consacrée au label ECM, avec Julia Hülsmann, Wolfert Brederode, Benjamin Lackner et Mette Henriette. Rencontre avec cette dernière.
Mette Henriette est norvégienne, d’origine sami (un peuple du nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande), elle joue du saxophone et compose. Une musique aérienne, intime, souvent mystérieuse, qui reflète les grands espaces de son pays, le vent dans les bouleaux, le soleil de minuit, la terre rude et la joyeuse floraison colorée du printemps. Sa musique est peinture.
Le label de Munich emmené par Manfred Eicher a produit son premier album, en 2015. Un double, sobrement intitulé Mette Henriette : 90 minutes de musique, en trio puis avec un ensemble de 13 musiciens. Et avec une couverture signée Anton Corbijn, comme la photo qui illustre cet article. Le second album arrive, huit ans plus tard : Drifting sor- tira le 20 janvier. Toujours sur ECM. Mette Henriette a aussi beaucoup com- posé pour l’Oslo Philharmonic, pour le théâtre, pour le cinéma. Elle sera en trio à Flagey, avec Ayumi Tanaka au piano et Tanja Orning au violoncelle. Rencontre par zoom entre Bruxelles et Trondheim, où vit l’artiste.
Votre musique est celle d’une aquarel- liste, intime, légère, colorée, fluide.
D’une certaine façon, cela décrit l’état ou le sentiment dans lequel je suis quand je joue, quand je vis dans la mu- sique. J’ai l’impression que je peux pla- cer les couleurs et les formes à différents endroits dans le tableau sonore, jouer avec la lumière et les nuances et se fondre avec les autres instruments. C’est une belle métaphore, je pense. Au moins de ce que je ressens. Et puis je laisse aux auditeurs le soin de décider s’ils pensent que ça ressemble, en effet, à une aquarelle.
Votre saxophone se mêle à la sonorité du trio ou du band. Vous ne vous met- tez pas particulièrement en avant, vousvous fondez dans le son du groupe, alors que vous en êtes le leader. Par modestie ou parce que c’est ainsi que vous sentez votre univers musical?
C’est une question intéressante. Vous avez parlé de leadership. Je pense qu’il y a de nombreuses façons de diriger. J’ai l’impression de façonner la musique et de donner des impulsions. Mais surtout, je connais si bien les musiciens que je peux travailler avec eux sur différentes couches. Je n’ai pas besoin d’être à l’avant-plan, de jouer le plus fort, de jouer les mélodies pour être la cheffe. Je suis comme ces chiens qui mènent les moutons. Ils sont à l’avant ou à l’arrière et les moutons suivent, vous voyez?
On a l’impression que vous accordez plus d’importance au son de votre sax et de votre trio qu’aux mélodies, qu’aux lignes de la musique.
Dans le trio, j’interagis avec les deux autres musiciens, je dois être ouverte et les écouter très attentivement, eux et leur façon de jouer. La synergie est vrai- ment plus intéressante que le reste, en tout cas le plus souvent. Il y a beaucoup à découvrir en se penchant sur les syner- gies entre les différents musiciens. Un saxophone et un violoncelle qui jouent ensemble, c’est tellement différent ! D’ailleurs, en tant que saxophoniste, je joue autrement si je côtoie un violon- celle ou une batterie. Il y a différents points de rencontre, différentes façons de se rencontrer, et tant que je jouerai dans ce trio, je continuerai à explorer ces choses et peut-être parfois à remettre en question les choses qui me viennent trop facilement. Mais je crois que les musiciens,avec leurs forces et peutêtre même avec leurs faiblesses, vont façonner la façon dont je mène ou dont je compose ou dont j’improvise.
On ne voit pas souvent un saxophone, un piano et une batterie jouer en- semble. Parce que vous aimez comment le son résonne entre eux?
En effet, sinon, je ne travaillerais pas sur ce projet depuis dix ans. En fait, avant même que nous nous rencontrions tous les trois, je me sentais attirée par le vio- loncelle. Il y a quelque chose dans la na- ture du violoncelle qui me fait penser au saxophone ténor, le registre, le corps du son. J’ai donc été intrigué par cette ques- tion et je voulais l’explorer. Et donc quand j’ai rencontré Katrin (NDLR : Katrine Schiott, violoncelliste du pre- mier album) à l’Académie de Musique, on a commencé à jouer ensemble et c’était vraiment chouette. Et Johan (NDLR : Johan Lindvall, le pianiste du premier album) est arrivé et s’est mêlé remarquablement bien à ce son, avec son jeu très distinct et très délicat, qui nous donne un peu de structure et des possibilités nouvelles. Mais, c’est étrange, je n’ai jamais vraiment réalisé que cette composition instrumentale était inhabituelle, sans doute parce qu’on a tellement joué à trois.
Vous vous occupez aussi de scénographie, de lumières, de chorégraphie. Certains de vos spectacles sont ainsi totaux. Ce sera comme ça à Flagey?
J’adore vraiment travailler avec tout ça. Mais je ne suis pas persuadée que cela pourra être le cas à Bruxelles, parce que nous faisons partie d’un festival, qu’il faut du temps pour changer les plateaux pour les autres musiciens. On va quand même essayer de discuter de ce qu’il sera possible de réaliser. Je ne crois pas de toute façon que je pourrai amener une production totale. Mais vous savez, il s’agit d’abord de musique.
Vous êtes d’origine sa- mie. Cela influence-t-il votre musique?
Je pense que c’est là. Une présence. Un esprit, être qui je suis. Cela se reflète sans doute aussi dans la musique. Je ne joue pas de musique sami traditionnelle, mais il y a sans doute un esprit qui m’enveloppe.
Un autre saxophoniste norvégien, Jan Garbarek, était beaucoup influencé par le folklore de son pays. Vous pouvez, vous aussi, être pénétrée par la culture sami.
Peut-être. Je suppose qu’en tant qu’êtres humains, nous absorbons notre environ- nement depuis le moment où nous sommes nés et même juste avant. Quand on grandit, ça fait partie de nous. En ce sens, il est peut-être naturel que je sois plus proche de certains musiciens norvégiens que de musiciens de jazz d’Afrique du Sud, par exemple. Même si on joue la même musique de jazz, il y a sans doute quelque chose de différent, une façon de voir et une façon d’écouter originales. Ce sont les points de réfé- rence que nous possédons tous, je sup- pose, et qui ne sont pas les mêmes.